mardi 23 février 2016

L'arbre en fleurs
a les yeux grands ouverts,
des yeux écarquillés
qui se transforment
en cascade
sous l'averse froide.
Ce sont aussi des yeux qui parlent,
qui chuchotent.


Derrière la grille du parc,
l'arbre n'est pas le prisonnier.
Il continue son déploiement.
Il se laisse prendre
à la danse des étoiles.
La merlette ne s'y trompe pas.
Ici, on ne ferme pas
la porte et les volets.


Ici, on se moque
du jour terne.
On échappe à la prétention
de poser des conditions
au petit matin.
L'arbre mouille ses racines.
Le merle ne s’embarrasse 
pas d'écharpe.
La bise réveille les écorces
et ébouriffe les duvets.


Et cette blancheur de pétales,
ces notes cristallines
déconditionnent.
Elles ont la fraîcheur
d'un plongeon, tête la première
dans un matin
qui ouvre des issues,
des coups d'ailes,
des surprises.


La pluie s'en mêle
qui me tombe sur le nez.
Chaque goutte érode
avec délicatesse
le mur monochrome
du quotidien qui rend aveugle.
Je veux voir. je veux vivre.
Je ne veux pas être réduit en poudre
dans la bouillie des jours.


Rien n'est tracé d'avance.
Une rose qui n'a perdu
aucun pétale malgré l'hiver
s'est mise à clignoter
juste au moment où mon regard
raclait le bitumé
sur le chemin du retour.
Comment ai-je pu
ne pas la voir
pendant des semaines ?


Je secoue ma vision
comme une crinière.
J'ôte les peaux mortes
du morne.
Le trottoir luisant
s'offre un morceau de ciel.
Le lampadaire révèle
un tapis d'ombres chinoises.
La lèpre des murs
organise des jaillissements,
des myriades de mousses et de lichens
qui dessinent l'inachèvement

C'est bon d'être vivant.



mercredi 17 février 2016

La nuit noire a remplacé 
la nuit grise du jour.
Le seul refuge est au guet des mots,

ceux qui chantent,
ceux qui craquent
comme le bois à l'âtre
alors que dansent les flammes.



On peut se nourrir de mots
quand ils sont libres,
qu'ils ne cherchent
ni à dominer, ni à tromper.
Je m'enroule dans la parole
comme dans un châle.

Les mots viennent
quand ils veulent.
Est-ce les miens ?
Ils traversent d'étranges déserts.
Ce sont des graines emportées
par le vent d'une autre parole,
celle d'un conteur ou d'un griot.
Ils connaissent la migration des nuages.
Ils se glissent sous les écorces
pour ne pas mourir de froid.
Puis ils reprennent leur route
quand un cœur s'éveille.
Ils viennent au secours des harassés,
assez de vide, assez de sang;
Je m'accroche à leurs ailes
qui veulent toujours aller plus loin.


Ce sont des mots brindilles
qui servent à faire des nids.
On peut se reposer 
dans le cœur d'un poème,
couver des images
qui enlèvent l'uniforme
d'un langage de bois mort.
La nuit noire n'arrive pas
à manger la lumière des fenêtres.
La nuit noire ne peut s'emparer
des mots en voyage.


Car ce sont des mots qui ne s'arrêtent jamais,
des mots qui se moquent des frontières
d'une terre trop carrée.
Je n'abandonne pas ce voyage au long cours
où il n'y a rien à gagner.
Je souffle au visage de la nuit
des mots étoiles et mon vocabulaire
accompagne le cri de l'aube.


Les mots prononcés pour rester vivant
ne sont jamais perdus.
Ils renaissent touts blancs
sur le cerisier en fleur
ou près de l'enfant qui s'endort
avec des mots étranges
qu'il a lu dans le dictionnaire.